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10 avril 2011 7 10 /04 /avril /2011 14:16

Il y aurait un fort volume à écrire sur la vie aventureuse bigarrée et invraisemblable de Michel Dansel.

 

Homme aux multiples identités et aux nombreuses fonctions, même les dictionnaires qui le signalent en qualité de poète et d'écrivain présentent à chaque fois un personnage différent. Sous le label «Sortilèges », une sous-marque de la société d'éditions « Les Belles Lettres » (1997), on peut lire que Michel Dansel est né sur un paquebot nu large de Baltimore le 21 janvier 1940. Sa mère, la princesse Tatiana Koulouchlcine de Mitriakova, l'initia tôt à la littérature. Sociologue de l'insolite, outre des romans d'action en guise de prétexte à la poésie, il a publié de nombreux livres sur la face cachée des choses. Mais les pistes ne sont pas si simples. Elles se contredisent même parfois. Ainsi, dans le Dictionnaire de la poésie française contemporaine (Larousse, 1968), le poète Jean Rousselot atteste que Michel Dansel est né à Paris cinq ans plus tôt. Il précise que ses deux premiers recueils ont suffi à attirer l'attention de la critique sur ce poète crispé, rebelle, créateur d'heureux néologismes, d'images vigoureuses et insolites. Grand voyageur, grand lecteur, il s'est intéressé à la métaphysique chinoise au point de la faire sienne.

 

Face à un personnage aussi énigmatique, que l'on ne peut débusquer que dans certains restaurants ou cafés de quartiers, notamment dans le 14ème arrondissement de Paris, loin des cercles littéraires, des milieux intellectuels à la mode et des mondanités, j'ai entrepris de me pencher sur le cas Dansel. Je me suis tout d'abord aperçu que sur son compte les informations les plus contradictoires circulaient. Sur le plan strictement littéraire, dans le Dictionnaire des littératures (Larousse, 1985), il est mentionné que cet auteur poursuit un même itinéraire poétique, et qu'il passe par l'exploration des fantasmes les plus souterrains. Jean-Louis Depierris, dans un livre intitulé Onze nouveaux poètes insoumis (Éditions Saint- Germain-des-Prés, 1975), consacre à Dansel une étude sous le titre D'un cynisme prophétique. Dans ce panorama figurent notamment André Pieyre de Mandiargue, Jean Rousselot, Jean Breton...

 

Dans l'un de ses récits, Carnet de mémoire ( ditions Résidence, 1999), qui à l'évidence est un livre à caractère autobiographique, Danse! écrit : Pour les besoins de ma mission, je venais d'endosser un nouvel état civil. Je m'appelais Hans Buchmann, j'étais né à Salzbourg ; mon domicile se trouvait à Vienne et ma spécialité de minéralogiste me conduisait à préparer une thèse sur les pierres semi-précieuses du Chili... Dans ce même livre, Dansel s'appelle Karl Isambart, il est né à Bourges le 17 août 1936. Il participe à des tournois d'échecs dans les pays de l'Est et à Paris. Comment démêler le vrai du faux, l'affabulation de la réalité ? En me gardant bien de l'en prévenir, je me suis livré à quelques recherches sur son curriculum vitae. Or, à la faveur de la publication de ses poèmes, il m'a permis de lui consacrer ces pages, et de révéler quelques précisions sur sa vie privée. Ce qui surprend avec cet étrange personnage, c'est que la vérité est partout et ne se fige nulle part. Pour revenir sur ce qu'il mentionne dans son Carnet de bord, Danse! parle effectivement allemand, s'est beaucoup passionné pour la gemmologie, n'ignore rien de la Ville de Bourges et de son histoire, a disputé des tournois d'échecs, connaît particulièrement bien le Chili, dans sa topographie, dans sa culture et dans ses traditions. Il y a quelques années l'Ambassade du Chili, à Paris, lui a même demandé, pour les besoins de l'édition d'un luxueux calendrier, d'écrire l'histoire de ce pays. Après vérification, j'atteste que son texte a bien été édité.

Sur cet insaisissable vagabond de la vie souvent jalousé par ceux que la génétique n'a pas comblés de ses dons et de ses talents, mais le plus fréquemment ignoré, mis au placard, ostracisé pour ses opinions décalées ou son culte de la provocation, Depierris offre une approche assez fidèle de la réalité : Sa poésie de révolte délivre, dans le ton narquois et la ruse, une lucidité impitoyable. D'humour sarcastique, d'ironie âcre, d'allégresse rageuse, son accent agressif dénonce les faux-semblants, débusque les fantasmes, s'enflamme contre les turpitudes.

 

Dans ce défi jeté à l'existence (la sienne est souvent dangereuse, nombreuse, contraignante), Dansel, dru, mordant, a toujours des comptes à régler avec des déchirements et des rebondissements fantastiques. À mi-chemin du cynisme et du dédain, sa voix rude, aux sonorités acerbes, fustige l'infamant à coups d'images syncopées.

 

J'ai voulu mieux comprendre pourquoi Dansel était si jalousé, parfois détesté et tenu à distance par ceux qu'il appelle les fonctionnaires de la vie, les mulets, les chèvres, les apparatchiks du hochet, les essayeurs de paillassons, les ronronneurs plénipotentiaires, les donneurs de leçons toujours prêts à baisser leur culotte, les chiens coiffés de la fraternité verbale, les dictateurs de la pensée et tous les résidus de fausses couches qui friment avec leur statut de petits chefs et qui vont à la gamelle pour servir les causes les plus infâmes.

 

Dansel ne donne pas dans la dentelle, surtout pour ceux qui lui taillent des costumes dans le dos. Mais il est le premier à prêter le flanc par ses formules cisaillantes qui procèdent de la pure provocation. Ceux qui prennent ses propos au premier degré ont, je le reconnais, toutes les bonnes raisons de le clouer au pilori. Pour m'en assurer j'ai voulu le soumettre à la question.

— Que détestez-vous le plus dans la vie ?

— Le café au lait et les enfants (bien qu'il ait lui-même une âme d'enfant).

— Qu'appréciez-vous le plus dans la vie ?

—Les cimetières pour ne plus entendre d'âneries. D'ailleurs, je préfère être vivant dans un cimetière que mort dans un hôpital ! (il sait de quoi il parle, lui qui a écrit plusieurs livres sur les cimetières parisiens, où une érudition sans faille sert de tremplin à un humour décapant).

— Que pensez-vous de la psychanalyse ?

—   Un trou de balle avec du vide autour.

— Donnez-moi votre point de vue sur la religion.

—   La religion, n'importe laquelle, représente pour moi un sucre d'orge qui permet à certains de penser qu'ils se lècheront les doigts après leur mort.

— Aimez-vous les femmes ?

—   Oui, mais en sauce seulement !

— Seriez-vous misogyne ?

—   Avec les garces, les saintes-nitouches, les dindes et les bécasses certainement plus qu'avec les autres !

—   Et sur le plan sexuel, quels sont vos rapports avec les femmes ?

—   Intimes !

—   Pourquoi ne répondez-vous jamais sérieusement aux questions que l'on vous pose ?

—   Parce que dans la vie il n y a rien de sérieux (je ne suis pas sûr qu'il en soit convaincu, mais il pourfend avec raison l'esprit de sérieux qui n'a que faire des drames très réels de l'existence).

 

— Êtes-vous intolérant ?

— fe m'économise car, compte tenu du très grand nombre de nécessiteux, il faut économiser son intolérance.


Michel Dansel est un provocateur, un excentrique positif, un bâtisseur qui n'entend pas se réfugier dans le rêve et l'abstraction. Il n'a aucune indulgence pour les donneurs de conseils ; pour ceux qui promettent, histoire de se donner bonne conscience, et qui ne remplissent pas leur contrat ; pour les couards, les ventres mous, les gardes-champêtres de la normalité...

Quand je me suis proposé d'écrire un texte introductif à sa Marelle bleue, Dansel m'a traité de lapin de garenne, de pissenlit vérolé, de hongre pestiféré, de surmulot de fosse d'aisance, et de bien d'autres qualificatifs tout aussi gracieux (j'ai échappé de justesse à la « vipère lubrique ») ! Par bonheur, je connaissais l'homme pour sa brutalité verbale, pour ses formules imprécatoires, pour son caractère difficile à décrypter. Et je savais que cette avalanche d'aménités révélait au fond combien il était secrètement heureux de ma proposition. Tant de rugosité avait toujours masqué chez lui un écorché vif, un coeur généreux et même attendrissant, un authentique poète doté de solides qualités, une pépite rare en décalage avec l'état d'esprit et les pratiques de ses contemporains trop bien formatés.


Michel Dansel est un homme à prendre ou à laisser. Avec lui, il n'y a pas de demi-mesure : ou l'on marche avec lui, ou il vous gratifie de son indifférence. Toutefois, il convient de mettre à son crédit qu'il refuse ardemment toute forme de dogmatisme, toute dictature de la pensée, tout embrigadement au nom d'une idéologie. Il aime les autres sans distinction de race, de croyance ou de statut social. Mais il est évident que son attitude et son franc parler ne manquent pas de déplaire, d'indisposer, et de le rendre insupportable dans les milieux littéraires les plus feutrés. Individualiste forcené, il ne manque pas de déclarer que le drame de chacun est d'agir comme un autre.


Parmi les formules dont Dansel est l'auteur, en voici quelques-unes qui ne manquent pas de surprendre, d'indigner ou d'amuser, mais certaines d'entre elles forcent la réflexion :

Le propre de l'Homme serait de ne pas être sale.

On n'a pas la foi comme l'appendicite.

La naissance comme la mort ont des portes qui ne s'ouvrent que dans un seul sens, mais toujours vers l'extérieur.

 

Souffrir tout seul c'est au moins souffrir pour deux.

Juste après être passé chez le coiffeur, si l'on vous dit « vous êtes allé chez le coiffeur », changez vite de coiffeur.


II ne faut pas vouloir monter trop haut quand on ne sait pas redescendre.

S'il y a vraiment un Dieu, pourquoi les religions existent- elles ?


Quand dans ton carnet d'adresses tu croises plus de morts que de vivants tu peux estimer que tu as pris de l'âge.


Je plains de toute mon âme ceux qui ne savent rien, mais je redoute et plains plus encore ceux qui prétendent tout savoir.

Contrairement à la fortune, la mort est une chose qui arrive à tout le monde (et la dérision, que Michel Dansel pratique en virtuose, est un antidote efficace à l'angoisse que suscite l'infâme Camarde).


Croire ou ne pas croire, l'essentiel est d'espérer.


Le progrès c'est la permanence dans la mouvance et la mouvance dans la permanence.


Prendre des risques, c'est courir plus vite que soi.


Si ta ligne d'horizon ne change pas, c'est que ton esprit est statique. Si ton esprit est statique, tu ne peux pas apprendre à savoir. Si tu ne peux pas apprendre à savoir, tu es programmé pour épouser le premier dogme qui se présente à toi. Si tu es programmé pour épouser le premier dogme qui se présente à toi, nous ne marchons pas sur le même chemin.

La poésie est partout mais assez rarement dans un poème. Qui ne sait s'essuyer la bouche doit avoir le cul sale.


On peut très bien ne pas faire grimper les femmes aux rideaux et néanmoins poser les tringles.

Et si l'argent n'existait pas, à qui cela serait-il profitable ?


La vie de Michel Dansel est hachée, déhanchée, singulière et plurielle. Né à Paris (parce qu'on finit bien par débusquer la vérité !), il a grandi dans une maison familiale à Vallières, entre Troyes et Tonnerre, non loin de Chaource, à la lisière de la Champagne et de la Bourgogne. Dès sa petite enfance, il a connu la Pension Gay, aux Lilas, puis le Ménilmontant encore Champêtre et faubourien, la zone, les hauteurs du vingtième arrondissement et toutes les banlieues alentours : Bagnolet, Montreuil, Noisy-le- Sec, Romainville...


Engagé volontaire dans la Marine Nationale, il aurait pu devenir militaire de carrière ou prêtre pour souscrire aux souhaits de certains membres de sa famille, mais son culte de la liberté l'a conduit à choisir une destinée autre car sa vocation était ailleurs. Tôt sollicité par l'écriture, c'est vers l'âge de douze ans qu'il écrit ses premiers poèmes et, au grand désespoir de sa famille, qu'il manifeste le désir de devenir écrivain.


La vie de Dansel est émaillée de zones d'ombre, de trous et d'inattendus. On le retrouve notamment comme capitaine d'un caboteur au-dessus du Cap Nord, comme voyageur en Laponie, comme nouvelliste à Stockholm, comme professeur de français à Hambourg, comme arracheur de clous à Kirkenes, en Norvège, à la frontière russe, comme ours pour photographe sur les bords du lac Léman, comme résident dans la Bulgarie stalinienne pour y accomplir « des missions culturelles ». Il ne s'agit là que d'un bref aperçu de sa vie pleine à craquer. Tous ses déplacements, tous ses voyages, toutes ses missions ne sont que des prétextes à une démarche poétique fulgurante. Au fil de ses transhumances, il donne des conférences, publie des articles, participe à des tournois d'échecs à travers toute l'Europe, approche nombre de personnalités. Et il se retrouve un beau jour à la Sorbonne pour soutenir une thèse sur Tristan Corbière. Par ailleurs, Diplômé de l'École Pratique des Hautes Études, il aura à son jury de grands noms de la littérature comme Jean Cassou, Roland Barthe et Gaétan Picon. Très attaché au concept de modernité, les poutres maîtresses de ce hors clan sont la poésie et l'humour. Outre certains classiques incontournables, et les poètes de la Pléiade, ses auteurs préférés sont, notamment, Nerval, Baudelaire, Rimbaud, Jules Laforgue, Tristan Corbière, Lautréamont, Charles Cros, Germain Nouveau, Alfred Jarry, Apollinaire, Cendrars, Max Jacob, Robert Desnos...


Dans cette Marelle bleue se trouvent regroupés certains extraits de ses précédents recueils. Mieux que tout essai de biographie ils dévoileront au lecteur l'aventure intérieure d'un esprit libre congénitalement voué à la parole créatrice.


ANDRÉ MONNIER

Professeur émérite à l'Université de Paris-Sorbonne

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commentaires

T
Bonjour Mr Dansel,<br /> Je suis le fils de Claude, je vous ai rencontré à quelques brèves reprises depuis ma naissance (trop peu), vous m'avez toujours impressionné et intéressé.<br /> Lorsque papa est "parti" j'ai pensé à vous et je continue encore...<br /> J'aimerais vous rencontrer et échanger avec vous s'il vous plaisait de le faire.<br /> Si votre réponse est négative je comprendrai et l'accepterai.<br /> Bien à vous<br /> Eric TETARD<br /> P. S. ; Je n'ai pas pu garder les deux chandeliers.
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G
Bonjour michel<br /> Il y a quelques decenies que nous nous sommes vus<br /> Je suis la fille du general Jean Guyaux et de Paulette<br /> Serai ravie de te revoir<br /> Bises<br /> Arlette
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M
Bonjour Michel, un petit coucou et mon mail afin de reprendre contact et de vous passer le bonjour de mon père Bernard qui vous affectionne. J'aimerai vous revoir bientôt ... sur Paris ou ailleurs. Bien à vous. Michael 0610812743
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M
Bonjour Michel<br /> Un petit coucou.
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L
Désolé de t'avoir manqué sur le boock! Tu as mon adresse si tu le souhaite !<br /> Je t'embrasse également <br /> Christian dit "Le vieux loup" Je ne vis pas en meute.Je suis un solitaire !
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